Dilma Rousseff accusée de double langage à propos de la légalisation de l'avortement

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En apparence c'est un tract banal, noyé parmi ceux qui indiquent où emprunter de l'argent. Mais le petit papier blanc, distribué par dizaines de milliers à la sortie des lieux de culte, a sans doute contribué à priver Dilma Rousseff d'une victoire dès le premier tour - elle a obtenu 47 % des suffrages. Adoubée par le président sortant Luiz Inacio Lula da Silva, la candidate du Parti des Travailleurs (PT) y est accusée d'être en faveur de l'avortement. La loi interdit l'interruption volontaire de grossesse sauf en cas de viol ou si la vie de la mère est en danger.

Ce n'est que l'un des multiples exemples de l'offensive dont a été victime Dilma Rousseff de la part de leaders catholiques et évangélistes. Dès juillet, Dom Luiz Gonzaga Bergonzini, l'évêque de Guarulhos, banlieue de Sao Paulo, a fait circuler une lettre appelant les fidèles à voter «contre» la candidate. La signature laissait croire que la missive venait de la Conférence des Évêques du Brésil, la voix officielle de l'Église catholique. Plusieurs prêtres ont donc repris ce discours.

Du côté des églises évangéliques, les attaques se sont concentrées dans les quartiers populaires, où les courants pentecostistes sont en pleine explosion. La vidéo du culte d'un pasteur associant des images de fœtus morts à Dilma Rousseff a ainsi été vue plus de trois millions de fois sur l'Internet. Selon une enquête de l'institut Ibope le niveau de rejet de la candidate du PT, femme et divorcée, est passé de 17 % à 28 % entre août et septembre auprès des évangélistes. C'est Marina Serra, membre de l'Assemblée de Dieu, une puissante église évangélique, qui en a profité, rassemblant plus de 19 % des suffrages contre 33 % pour José Serra, le candidat de la droite.

 

«Tuer les petits enfants»

L'entrée du thème religieux dans la campagne est d'autant plus paradoxale qu'il va à l'encontre de la biographie des deux principaux candidats. Dilma Rousseff vient de publier une «lettre aux Églises évangéliques» dans laquelle elle s'engage à «ne pas proposer des changements de la législation sur l'avortement et sur d'autres thèmes concernant la famille», en référence aux homosexuels. Pour sa part, José Serra embrasse des crucifix et célèbre les «valeurs chrétiennes» dans des clips électoraux qui font défiler des femmes enceintes et font intervenir des pasteurs évangéliques. Mais l'intervention de sa femme, Mônica Serra, fait scandale : s'affichant comme un modèle de religiosité, elle a accusé la candidate du Parti des travailleurs de «tuer les petits enfants». Plusieurs de ses étudiantes viennent pourtant de révéler que, lors d'un cours en 1992, elle a raconté le drame de son avortement.

Au sein du comité de campagne de Dilma Rousseff, plusieurs jugent qu'elle n'aurait pas dû se laisser embarquer dans cette polémique utilisée par son adversaire. D'une part, elle froisse ses électeurs progressistes. D'autre part, elle est peut-être inefficace. «Le vote religieux a été moins décisif que les campagnes le laissent croire», estime Stéphane Monclaire, spécialiste du Brésil à la Sorbonne-Paris I. Il en veut pour preuve la concentration du vote de Marina Silva entre Rio de Janeiro, Sao Paulo, Belo Horizonte et Brasília. «Les évangélistes sont présents partout dans le territoire, et par exemple dans les grandes villes du sud, son score a été très faible», poursuit-il. Pour lui, la performance de la candidate verte est avant tout un «vote protestataire» des milieux urbains et instruits, face à deux propositions politiques trop similaires.

Reste que la campagne du second tour profite aux leaders religieux, qui exigent des candidats une prise de position. «Ils sont pragmatiques. Ils en profitent pour imposer des accords, et avancer en tant qu'acteurs politiques», résume Maria das Dores Campos Machado, qui dirige un centre «Religion et politique» au sein de l'Université fédérale de Rio de Janeiro. De fait, le nombre de députés évangélistes est passé de 39 en 2006, à 64 lors de cette dernière élection. Tous partis confondus, ils représentent aujourd'hui 12,5 % du Parlement.

Source : Le Figaro