Quand l'avortement dérive en eugénisme

Il a vu passer des générations de bébé sur son écran. Figure lyonnaise du monde médical, expert en échographie aux Hospices civils de Lyon, le docteur Albert Rebaud rebondit sur la récente polémique de dérives eugénistes dans le dépistage prénatal.
Lyon Capitale : Vous exercez depuis trente ans le métier déchographiste, comment a évolué le dépistage prénatal ?
Albert Rebaud : Il y a 35 ans, les échographies obstétricales se pratiquaient essentiellement à l'hôpital. Les objectifs principaux étaient la recherche d'une grossesse simple ou multiple, la mesure de la tête foetale, la présentation du bébé avant l'accouchement. Cela permettait aussi de déceler des grosses anomalies comme l'anencéphalie, les bébés sans cerveau qui décèdent pendant ou après laccouchement et de proposer une interruption de grossesse. Aujourdhui, les appareils se sont infiniment perfectionnés. Les femmes ont accès à trois échographies pendant leur grossesse. On peut déceler des anomalies graves, réfléchir de façon collégiale si elles sont opérables ou non, prévoir la prise en charge postnatale. Mais si les avancées sont extraordinaires, il y a aussi des dérives.
Précisément. Didier Sicard, le président du Comité national d'éthique, connu pour sa pondération, a récemment parlé dune dérive eugéniste dans le dépistage prénatal. Ses propos ont fait grand bruit. Quelle est votre position ?
Il a raison de poser le problème. Ce qui choque, c'est le terme eugéniste mais je le reprends volontiers à mon compte. On a tendance à passer d'un dépistage de prévention à une sorte de conditionnement à la suppression. Dépister c'est aussi prévoir un traitement, une éventuelle opération à la naissance de lenfant mais certains couples ne se posent même pas la question , ils vont tout droit à linterruption de grossesse.
Cest surtout le dépistage de la trisomie qui sest généralisé.
Je trouve quil y a un acharnement à dépister lenfant trisomique. Aujourdhui, on cumule les tests (marqueurs sériques, échographies, amniocentèse). Notre société induit aux parents que ces enfants n'ont pas de place parmi nous. On pourrait avoir le même acharnement à faire en sorte que la société les accueille. Un autre problème se pose : combien denfants dits normaux sont perdus par l'amniocentèse pour dépister la trisomie ? Le risque de fausse couche de cet examen est de 0,5 à 1 %. Le risque de trisomie est évalué à un enfant sur 700. Faites le ratio !
Mais il appartient aux parents de faire le choix de linterruption de grossesse et non au corps médical.
Je ne condamne pas le choix dune famille de linterruption de grossesse, mais je pose la question de la pression médico-légale et du désir des parents de l'enfant parfait. On peut être très handicapé comme le pianiste Michel Petrucciani, on peut sappeler Mimie Mathy et avoir une vie formidable. Dans mon cabinet, j'affiche la photo d'un petit garçon qui a une malformation aux pieds et aux mains. Sa mère me vante toujours son extrême dextérité et le bonheur d'avoir cet enfant.
Est-ce que les réactions des familles ont évolué face à des anomalies physiques ?
Les parents accordent souvent plus dimportance à une anomalie physique qu'à un problème interne plus grave comme une malformation cardiaque. En France, l'interruption médicale de grossesse n'est autorisée que pour une cause particulièrement grave et incurable. J'ai vu des patientes aller en Espagne ou en Angleterre où les délais de lIVG sont plus longs se faire avorter pour un simple bec de lièvre parfaitement opérable ou des malformations de membres (pied bot, absence dune main). Lorsquon a décelé soi-même ces minimes anomalies qui conduisent certains à faire une IVG, on se sent responsable. Ma femme a arrêté le métier d'échographiste pour cette raison.
Considérez-vous quil faut revenir en arrière dans le dépistage prénatal ?
Non, le dépistage prénatal reste un acquis indéniable. Il paraît difficile de faire une liste de ce qui doit être dépisté et de ce qui ne doit pas pas lêtre, comme certains le préconisent. Mais il est important de parler de ces dérives et que la société sinterroge.
Source : Lyon Altermedia